Une grande route de campagne qui traverse une gigantesque forêt en plein Texas. La chaleur de cet été trop sec rend la vision difficile au loin, comme si l’air et les couleurs se brouillaient. Un moteur rugit et c’est une voiture de couleur noire à la carrosserie usée qui surgit soudainement, écrasant le murmure de la Nature.
Là, perchée sur la branche basse d’un arbre, à l’abri dans l’ombre de ses branches, se cache un enfant. De loin, on croirait un garçon, avec ses cheveux courts en bataille, son visage aux traits enfantins éraflé et un peu souillé par la terre. Ses pieds nus et sales pendent dans le vide, se balancent régulièrement, et son short trop grand est tâché de vert et de marron, troué par endroits. Pourtant, c’est une petite fille, de huit ans à peine. Une gosse née en plein hiver, dans un endroit caché au milieu de cette étendue d’arbres sans fin, un repère secret.
Celui d’une secte.
Elle observe avec fascination l’automobile qui file comme une flèche sur le bitume, le moteur vrombissant. Il n’y a pas de tels engins là où elle vit. D’ailleurs, elle ne devrait même pas être là. Elle n’a pas le droit de s’éloigner autant, d’approcher ceux qui ne font pas parti de sa communauté. Elle n’a pas le droit de partir. La barrière invisible est là, tout prêt, au bord de la route. Si elle s’avance un peu plus sur la branche, elle la dépassera. Elle sera à l’extérieur.
La voiture passe en coup de vent devant elle et avec surprise, elle distingue un cheval galopant sur l’arrière du véhicule. Oh ! Cet animal là lui est familier. C’est la première fois qu’elle en voit un dessiné sur une voiture qui passe là. Pourtant, elle vient ici souvent, bien plus souvent qu’elle ne le devrait. Elle s’éclipse en douce, disparait quelques heures, puis revient en passant inaperçu. Pour l’instant, elle ne s’est jamais faite prendre, mais elle sait que si ses parents savaient, ils l’auraient punie très sévèrement.
Peut-être serait-il temps qu’elle rentre. Mais la vision du véhicule noire qui disparait au loin la rend étrangement joyeuse. Elle s’imagine à son bord, sans savoir vraiment à quoi cela ressemble. Ça la fait rêver. Elle pourrait partir loin, découvrir ce monde dont lui parle parfois la préceptrice de la communauté, celle qui inculque à tous les enfants leur culture et quelques bases dans différentes matières. Alors elle reste là. Elle a déjà vu certaines voitures repasser dans l’autre sens, peut-être que le bolide noir reviendra aussi ?
Elle attend. Patiemment. Elle balance ses pieds, chantonne un air, s’amuse à regarder les écureuils qui fuient en la remarquant, scrutant les rares voitures qui passent à toute allure devant elle. La voiture noire ne revient pas et déjà le jour décline. La tristesse étreint son cœur d’enfant.
« Elizabeth ! »
Le ton colérique de son plus vieux frère la fait sursauter. Elle manque presque de tomber de sa branche.
« Qu’est-ce que tu fais perchée là-haut ?! Descends ! Tu n’as pas le droit d’être là ! Papa et maman sont furieux ! »
La petite fille s’exécute, penaude. Elle voulait juste regarder la route…
Ce jour-là, Elizabeth écopa d’une punition sévère, et ce ne fut pas la dernière, loin de là. Elle retourna souvent observer la route, rêvant de partir loin, très loin, explorer le monde… Au fil des années, cette idée grandit avec la maturité, elle se mit à poser plus de questions, à se rebeller contre ces chaînes qui la maintenaient enfermée dans cette communauté. L’adolescence la rendit rebelle et malgré les châtiments répétés, la jeune femme têtue aux allures de garçon manqué continua d’enfreindre les règles, de braver les interdits, rejetant ce système qui l’entravait, ne comprenant pas pourquoi personne ne voyait rien et semblait s’y complaire, alors qu’elle avait l’impression d’étouffer.
Elle voulait partir. S’en aller. Voir au-delà de ces maisons de bois cachées dans une forêt immense. Mais il y avait toute sa famille ici. Tous ses frères, qui s’amusaient de la voir se rebeller conre l’autorité tout en essayant de la préserver du jugement sévère des adultes, qui ne laissaient rien passer. Cet endroit, c’était tout ce qu’elle avait toujours connu. La vieille dame, deux maisonnettes plus loin, qui lui racontait plein d’histoires d’aventuriers en cachette, souriant d’un air maternel devant ses yeux illuminés de joie. L’homme qui taillait dans les arbres et qui lui avait confectionné, pour la consoler, une petite figurine de bois représentant un oiseau le jour où elle s’était enfuie en pleurs de la maison après une énième correction. Sa tutrice aussi, celle qu’ils avaient tous, et qui répondait toujours à ses questions « interdites » une fois que tous les élèves étaient partis.
Elle les aimait. Vraiment. Ils ne voyaient pas les chaînes qui les retenaient ici, mais ils étaient gentils avec elle –la plupart du temps. Ils disaient qu’elle allait s’assagir avec l’âge et ça l’effrayait un peu.
Puis il y avait Doriath. Celui qu’ils suivaient tous. Leur prophète. Leur Père. Leur Dieu. Et il la terrifiait.
Icones by lovely bones & Alaska.
« Maman, je te jure que je ne sortirai plus jamais du refuge. Je-Je n’irai plus jamais jusqu’à la route, je me plierai à toute tes exigences-
-Il faut que tu y ailles, Elizabeth. C’est ainsi. »
Elle a fêté sa quinzième année quelques jours plus tôt. Sa mère la traine derrière elle, agrippant sa main avec une force inouïe. La jeune fille ne comprend pas. Pourquoi ? Pourquoi Doriath veut-il la voir maintenant ? A-t-elle franchi une limite qu’elle n’a pas su voir ? Elle ne sait pas. Le froid de la nuit mord sa peau nue, elle frissonne, se contorsionne dans l’empoigne de fer de sa génitrice. Cette dernière l’a obligée à revêtir une robe et « ressembler un peu plus à une fille » selon ses termes. Elle suppose que ce soit pour être plus présentable devant leur Sauveur – et ça se comprend parce que pour un peu, on pourrait la confondre avec l’un de ses frères. Mais pourquoi demander à la voir à cette heure-ci ? Pourquoi sa mère semble si inquiète, lui serre le poignet à lui en faire mal ? A-t-elle peur qu’elle s’enfuie ? Craint-elle qu’à cause des actions rebelles de sa fille, leur Maître les chasse d’ici ?
Soudainement, la culpabilité serre son cœur. La jeune femme n’a jamais voulu ça. Aussi propose-t-elle à sa mère d’être la plus sage et la plus parfaite des filles si elle ne l’amène pas jusqu’à Doriath. Il l’intimide, l’effraie. L’idée de lui faire face la terrifie. Mais sa mère reste sourde à ses peurs, se contente juste de dire que c’est nécessaire, que cela a toujours été ainsi. La plus jeune fronce les sourcils, traînant un peu plus les pieds. Elle n’a jamais vu ses frères s’éclipser en plein milieu de la nuit pour aller rencontrer leur Prophète. Mais au moins est-elle rassurée. Sa famille ne risque rien, apparemment. Sinon, sa mère ne serait pas en train d’embrasser son front en ce moment même, la couvant d’un regard maternel.
« Ne t’enfuie pas, d’accord ? Sois respectueuse. »
Elle hoche la tête, espère que sa mère changera d’avis. Mais la porte de bois devant laquelle elles se sont arrêtées s’ouvre soudainement, avec un léger grincement. Un homme à la grande carrure apparait dans l’encadrement, un sourire doux aux lèvres. Son charme est saisissant, presque hypnotique. Mais la seule chose qu’il éveille en Elizabeth est la terreur. Il lui tend la main avec un air engageant qui la glace, elle hésite, jette un coup d’œil à sa mère qui arbore une expression admiratrice. Puis elle croise les yeux glacés de l’homme et saisit enfin sa main, ses doigts tremblants. Il échange quelques mots avec sa génitrice, qu’elle peine à entendre alors qu’elle sent soudainement son corps se faire flasque. Une douce torpeur l’envahit et elle ne se pose pas une seule question quand Doriath l’entraine à l’intérieur et referme la porte, plongeant la petite maisonnée dans l’obscurité. Elle se laisse guider sans réfléchir, docile, ne s’interroge même pas sur la soudaine présence d’un lit à ses côtés, et le sourire de l’homme quand il effleure son épaule nue.
Elle ne cria pas. Ne se débattit pas non plus. Et pourtant, jamais elle n’oublia.
Deux jours plus tard, elle se réveilla en sursaut, terrifiée par un cauchemar qui ne la quitterait jamais. Elle était en sueur, essoufflée, les joues inondées de larmes. Et soudainement, son poignet la brûla. La douleur sembla déchirer sa peau et elle hurla si fort qu’elle entendit à peine toute la maisonnée s’éveiller et se précipiter dans sa chambre. Mais lorsqu'ils arrivèrent, la souffrance s’était évanouie et sa peau arborait un tatouage étrange, qui cerclait son poignet comme un bracelet. Elle le cacha vite sous sa manche de pyjama et offrit un sourire désolé à toute sa famille, expliquant vaguement qu’elle avait violement cauchemardé. Jamais ils ne devaient savoir pour ce truc bizarre qui venait de lui arriver.
Jamais.Partir devint une nécessité. Elle ne pouvait même plus faire confiance à sa propre mère. Elle évita Doriath durant des semaines, disparaissant au milieu de la foule d’anonymes. Ses frères s’étonnèrent de la voir soudainement si sage, se pliant à toutes les volontés du patriarche de la famille sans discuter. Ses deux parents arboraient un sourire fier, et elle savait qu’ils étaient au courant, qu’ils cautionnaient. Qu’ils trouvaient cela
normal. Au début, elle avait cru que c’était sa punition, mais en parlant avec les quelques rares filles de leur communauté qui étaient légèrement plus vieilles qu’elle, Elizabeth comprit qu’elle n’était en rien un cas à part. Que c’était dans les mœurs. Et que ces jeunes femmes auraient tout donné pour retenter l’expérience et être à nouveau choisies par leur Sauveur. Cette réalité la catastropha. Etait-elle anormale de trouver cette pratique répugnante, malsaine,
contrenature ? Etait-elle la seule à ne pas y avoir consenti ? Pourquoi, pourquoi toutes les femmes trouvaient cette idée normale et tous les maris l’acceptaient sans sourciller ? Pourquoi, lorsqu’elle demandait à ses frères si eux-aussi
l’avait fait, ils fronçaient les sourcils sans comprendre ? Elle ne comprenait pas. Elle n’appartenait pas à ce monde-là.
Aussi s’appliqua-t-elle à être des plus discrètes lors de ses rares évasions. Il fallait que personne ne se doute de rien. Elle prépara ses affaires pendant des mois, mit de côté des réserves de nourriture, cachant le tout en forêt, dans les branches des arbres. Puis un soir, quelques heures après le couvre-feu, lorsqu’elle fut sûre et certaine que tous dormaient, elle se glissa dans la nuit. Elle récupéra ses maigres affaires, gagna la route, se mit à courir sur le bitume.
Et elle ne revint jamais.
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« Joyeux anniversaire, ma chérie. »
Kathelyn Abelson serre la jeune femme dans ses bras, qui profite avec bonheur de cette sensation de sécurité, de chaleur. Cette femme n’est pas celle qui l’a mise au monde, elle ne la connait que depuis un an et demi, et pourtant, elle se sent plus proche d’elle qu’elle ne l’a jamais été de sa véritable génitrice. Elle croise le regard de l’homme qui l’a trouvée affamée au bord de la route, et qui aux yeux de la loi est à présent son père. Ce dernier lui fait un clin d’œil complice.
« Alors, Lizzy, que dirais-tu de découvrir ton cadeau ? » lui sourit-il avec un air presque enfantin.
Les yeux de la jeune femme s’illuminent. C’est le premier véritable anniversaire qu’elle passe avec eux. Ses pensées se dirigent un instant vers ses frères, qu’elle a laissés derrière elle, et qui étaient toujours les premiers à le célébrer. Mais elle les chasse de sa mémoire, pour ne pas s’attrister inutilement.
De son ancienne vie, là-bas, elle n’a gardé que des souvenirs et un aigle taillé dans le bois. De son prénom, elle n’a conservé que Lizzy car c’était ainsi que la plupart des gens qu’elle appréciait l’appelaient, alors que ses parents s’obstinaient à prononcer la version complète de son nom, tout comme
Doriath. Mais sa carte d’identité la présente comme Serah Lizzy Abelson. Et ça lui plait. Ce nouveau prénom, ce nouveau nom, cette nouvelle identité… Une autre vie. La
vraie vie. Celle dans le monde extérieur.
Elle suit Thomas –son père adoptif- dehors. Kathelyn est derrière elle, une main encourageante dans son dos. L’homme déverrouille la porte du garage et l’ouvre. C’est finalement une voiture noire qui apparait…
La fameuse voiture noire qui n’a jamais véritablement quitté ses rêves de jeune fille.
« Tu es sûre que conduire cette voiture ne va pas te manquer ? » lui demande Thomas.
Elle lui lance un regard amusé, remarquant qu’il tient fermement sa ceinture de sécurité.
« Tu as épuisé tous tes arguments pour me dissuader ? » l’interroge-t-elle d’un ton légèrement moqueur.
La voiture passe le virage à toute allure et le moteur rugit quand elle écrase l’accélérateur. Un coup d’œil dans son rétroviseur lui apprend que les concurrents sont loin derrière.
« J’essaye juste de comprendre ce qui te motive, se justifie-t-il. Tu devrais ralentir un peu, le prochain virage est un peu plus long et technique si j’ai bonne mémoire. »
C’est lui qui lui a appris à conduire ainsi. Ancien pilote de voiture de course à la retraite.
Elle suit ses indications, consciente du danger, négocie le tournant, repart de plus belle. Le plaisir qu’elle éprouve à conduire sa voiture est immense. Cette dernière est comme la personnification de la Liberté.
L’adrénaline fait battre son cœur à fond, pourtant, ses mains ne tremblent pas sur le volant. Elle reste concentrée. Autant sur la piste et son tracé, que sur les paroles de son père adoptif. Elle sait que c’est certainement la dernière fois qu’ils partagent ce genre de moment privilégiés tous les deux et aussi que sa réponse a de l’importance, beaucoup d’importance pour lui.
« J’ai envie d’aider les gens. De les protéger. Cette chance que vous m’avez offert en m’acceptant dans votre famille… J’aimerais ne pas la gâcher et vraiment trouver un but à tout ça. Servir à quelque chose. Un peu comme Maman, tu vois ? »
Sa mère est médecin sans frontières.
« Mais pourquoi l’armée Lizzy ? Tu fais déjà partie des pompiers volontaires et je ne suis pas sûr que tu pourras trouver à la guerre ce que tu recherches… souffle-t-il en la fixant intensément.
-Je… J’ai juste l’impression que ce n’est pas… suffisant. Je voudrais faire partie de quelque chose de plus grand. Et je ne pense pas que ma première affectation sera pour l’Afghanistan. »
L’adulte soupire, Serah lui jette un coup d’œil coupable. Elle ne veut pas les inquiéter. Elle sait qu’ils ont peur pour elle, et elle aussi, cela l’effraie. C’est l’inconnu qui se profile… Elle n’a que dix-huit ans après tout. Comment peut-elle être certaine que s’engager sera la vocation de sa vie ? Elle sait juste que c’est ce qu’elle veut. Après être devenue sapeur-pompier, avoir goûté au danger et vu à quel point une personne pouvait influencer le cours des choses, pour le meilleur ou le pire…
Icônes by CRIPSOW, Javelot77 & Valingaï
Les adieux furent déchirants.
Et l’armée la forgea. La rendit plus forte, plus dure aussi. Les premiers mois furent d’une dureté sans égale. Plongée dans un monde d’hommes au sein duquel elle devait se faire sa place, elle douta souvent, mais s’efforça de ne jamais le laisser paraître. Elle finit par se faire accepter du petit groupe dans lequel on l’avait placée, et qui n’était constitué que d’une seule autre fille. Ils débutaient tous et pourtant, la solidarité mit du temps à s’installer, tout comme la confiance. Les deux seules demoiselles du groupe se serrèrent les coudes, travaillant deux fois plus dur, se reposant l’une sur l’autre quand elles venaient à flancher. Ce fut durant cette période d’entrainement intensif que Serah se rendit compte qu’elle n’était pas indifférente aux êtres arborant des courbes féminines, là où les muscles et autres attributs masculins la laissaient totalement de marbre.
Ce fut sa facilité pour le combat à mains nues qui lui offrit le respect de ses pairs. Elle était peut-être beaucoup moins musclée qu’eux, mais elle écoutait avec attention chacun des conseils de leurs formateurs pour prendre avantage de chaque partie de son corps. Plus rapide et agile, elle développa ses réflexes et apprit à frapper là où cela faisait mal. Elle aida sa compagne de galère à s’améliorer dans cette discipline et en échange, cette dernière lui donna des conseils pour le tir, si bien qu’elles constituèrent à elles deux une équipe soudée, que les autres finirent par accepter. Ce fut long, compliqué, et difficile, mais une fois qu’ils apprirent tous à se connaître et s’apprécier, ils furent véritablement capables de s’entraider et de former une véritable petite unité.
La veille de son dix-neuvième anniversaire, ils furent tous envoyés en Afrique pour une mission humanitaire. Et ce fut ce genre de missions qui rythmèrent sa vie durant quatre années. Protéger, aider. Le temps qu’elle ne passait pas sur le terrain était consacré à l’entrainement ou au repos –s’il ne s’agissait pas de faire la tournée des bars avec ses compagnons d’armes pour aller s’amuser un peu sans abuser de l’alcool. Elle dédia toutes ses permissions à la visite de sa famille, qu’elle était toujours impatiente de revoir. Elle rencontra beaucoup de gens, des hommes, des femmes, qu’elle apprit à apprécier ou détester.
Peu avant son vingtième anniversaire, l’un de ses camarades fut blessé durant une mission. Le refuge qu’ils devaient protéger avait été attaqué par un groupe armé indépendantiste. Entendre parler d’une blessure pare-balle et y faire véritablement face étaient deux choses bien différentes. Heureusement, l’attaque fut réprimée et les premiers soins qu’elle sut lui appliquer dans la panique lui sauvèrent la vie. Ce jour-là, elle tua pour la première fois un homme, et en sauva un autre. Et en amenant son compagnon d’armes jusqu’au médecin du camp, elle rencontra celle qui devint par la suite sa première et plus marquante expérience amoureuse.
C’était une vie qui était faite pour elle, pour son équilibre. Elle avait l’impression d’avoir trouvé sa place et ce qu’elle faisait lui plaisait, énormément. Les liens qu’elle avait noués avec ses compagnons lui semblaient indestructibles, taillés dans la roche. Ce n’était pas facile, loin de là, et certains jours lui rendaient la vie tellement insupportable qu’elle finissait par avoir envie de partir. Puis elle croisait le regard d’un enfant à la peau burinée par le soleil qui avait reçu le vaccin qui lui sauverait la vie. Elle lisait la joie sur le visage de cette mère qui tenait son bébé dans ses bras. Et elle se disait que cela en valait la peine. Que c’était bien plus gratifiant que de rester en sureté dans son bureau de verre à compter et recompter le montant de sa fortune –ou celle des autres. Que des jours et des jours passés à patrouiller dans les mêmes zones sous un soleil de plomb s’oubliaient vite quand une fois débarrassée des armes et de l’uniforme, elle retrouvait ce corps chaud et féminin contre le sien ou qu’elle allait à la rencontre des enfants qui jouaient dans les rues ou le camp dont ils devaient assurer la sécurité.
Et puis, il y avait l’aspect psychologique dans tout ça. Car il y eut des attaques. Des bombes. Des morts. Parmi les civils et les camarades. Et affronter la Mort en face était en fin de compte bien plus dur que n’importe quelle journée passée à s’user au travail. Pourtant, jamais elle ne craqua. Pas devant les autres. Et jamais elle ne songea à abandonner. C’était son devoir. Sa voie.
Mais tout finit par prendre fin.
Leur unité était de retour au pays pour un peu plus d’un mois. Un entrainement en conditions réelles, la nuit, avait été prévu entre différents groupes de soldats. C’était sérieux et pourtant, ils n’arrêtaient pas de plaisanter entre eux, se charriant gentiment quand leur supérieur –qui supervisait l’exercice- ne leur disait pas de se taire. Aucun ne connaissait vraiment ceux qui faisaient partie de l’autre unité, pourtant, ils se firent mutuellement confiance.
Ils prirent les armes, agirent comme s’il s’agissait d’une véritable mission, se divisant sous les ordres de leur commandant. Serah s’était retrouvée avec cinq inconnus et professionnels, ils suivirent scrupuleusement les consignes qui leur étaient données. Les ennemis, sous forme de panneaux qui surgissaient dans le noir, devaient être neutralisés en usant du moins de munitions possibles. C’était la toute première fois que la jeune femme faisait ce genre d’exercices et c’était extrêmement stressant. Son cœur battait sourdement dans sa poitrine, elle sentait l’adrénaline monter doucement, faire rugir son sang dans ses veines, alors qu’ils avançaient à pas de loup dans l’obscurité. Au détour d’un passage, un ennemi surgit non loin d’eux, mais ce fut un soldat arrivé en face qui le tua, avant de pointer son arme sur eux.
Et de faire feu.
Un poids s’abattit sur son dos et elle s’écrasa face contre terre. Son arme lui rentra dans les côtes alors que les coups de feu et les cris l’assourdissaient. Elle vit les corps amis tomber comme au ralenti, désarticulés, s’écrasant sur le sol. Et seul restait debout un soldat, tremblant, l’armée fumante à la main. Il retourna le canon contre sa propre gorge et tira.
C’était un membre de l’unité inconnue, nommé Jake, qui lui avait sauvé la vie ce jour-là et qui s’était pris une balle dans l’épaule pour lui éviter la mort. Apparemment, tous revenaient d’Afghanistan, où ils avaient dû affronter des pertes et l’un des leurs ne s’était jamais remis du traumatisme.
Jake et Serah furent les seuls survivants du carnage. Mais aucun des membres de l’unité de la jeune femme ne la reconnut après ça. Le traumatisme était là, profond, ancré dans son âme. Elle passa des tests psychologiques, fut déclarée inapte et démise de ses fonctions. Elle quitta l’armée avec le goût amer de l’échec et la sensation d’avoir failli. Elle n’avait pas pu les sauver, et elle ne pourrait à présent plus protéger. Ses protestations et ses paroles qui affirmaient qu’elle se portait bien n’y changèrent rien.
Et quatre mois avant son vingt-deuxième anniversaire, elle se retrouva chez elle, perdue, trahie. Elle ne se confia jamais vraiment, ne conta jamais l’incident à personne. Elle profita juste des étreintes chaleureuses de ses parents qui la rassuraient mieux de n’importe quelle parole après un énième cauchemar.
Icônes by peach', SWAN & Javelot77
« Mademoiselle, restez ici ! »
Elle ignore les ordres du pomper sciemment et fonce en courant vers la main qui s’agite faiblement au milieu des décombres. La chaleur du feu l’étouffe, la fumée la fait tousser violement alors qu’elle s’efforce de respirer dans son écharpe. Encore quelques foulées et elle y sera…
« Ne paniquez pas, je vais vous sortir de là. » rassure-t-elle immédiatement la victime.
Elle la regarde droit dans les yeux en lui disant cela. Le visage écorché et strié de larmes de l’adolescente dont la jambe est bloquée la supplie désespérément de l’aider. Avec toute la force qu’elle possède, celle qui deux mois plus tôt serrait pour la dernière fois dans ses bras ses compagnons d’armes pousse le bois qui empêche l’autre de se dégager. Il faut qu’elle s’y reprenne à plusieurs fois avant d’enfin y parvenir dans un véritable cri de rage. Elle sent ses cheveux roussir, ses poumons hurler sous l’assaut néfaste et cruel de la fumée.
Pas besoin d’être médecin pour voir que la jambe de cette pauvre fille est brisée. Serah s’accroupit à ses côtés, lui crie de s’accrocher à son cou et dans un dernier effort, elle la soulève. Ses muscles protestent vivement contre ce traitement, mais elle n’a qu’un seul but : sauver cette fille. A tout prix. Alors elle se met à courir, malgré la chaleur et sa gorge qui brûle, elle court le plus vite possible en remerciant ses formateurs à l’armée qui l’ont préparée à ce genre de situations extrêmes. Un pompier vient à sa rencontre, récupère la fille tombée inconsciente alors qu’un autre la presse vers le périmètre de sécurité. Elle est allongée dans un brancard avant même d’avoir pu protester. Et la voilà en route pour l’hôpital le plus proche…
Elle fourre ses quelques affaires dans un sac qu’elle balance sur son dos. Elle peut enfin quitter l’hôpital et dire que cette idée l’enchante serait un euphémisme. Elle étouffe ici. C’est bien trop étroit, bien trop blanc, et cette odeur aseptisée qui lui retourne l’estomac…
Elle s’apprête à quitter la chambre quand un fauteuil roulant lui barre la route. Devant elle se tient la jeune femme qu’elle a sauvée quelques jours plus tôt. Elle a l’air en bien meilleure forme que lorsqu’elle l’a récupérée dans les décombres en feu, et c’est rassurant. L’inconnue lui offre un grand sourire auquel Serah répond presque timidement, ne sachant vraiment que dire.
« Je sais qu’en tant que Combattante, vous aviez le devoir de me sauver mais je tiens à vous remercier. J’ai vraiment cru que ma dernière heure était venue. » lui souffle la jeune femme d’un ton bas, pour qu’elle seule puisse l’entendre.
Serah hausse un sourcil, surprise et confuse.
« Comment savez-vous que j’ai fait partie de l’armée ? » lui demande-t-elle avec méfiance, la dévisageant attentivement.
L’autre perd son sourire, figée, et elles se scrutent ainsi en silence durant plusieurs dizaines de secondes. Serah ne comprend pas où son interlocutrice veut en venir et ses sourcils se froncent.
« Mais… Vous êtes une Combattante non ? chuchote l’autre d’un ton incrédule. J’étais sûre d’avoir vu, à votre poignet… »
La main de l’inconnue saisit la sienne vivement et remonte sa manche, découvrant ce tatouage qu’elle porte depuis l’âge de ses quinze ans. Serah s’est tellement habituée à sa vue qu’elle a fini par l’oublier.
Puis la compréhension finit par illuminer les yeux de sa jeune interlocutrice.
« En fait, vous ne savez pas ce qu’est ce tatouage, je me trompe ? s’assure-t-elle d’un ton presque hésitant.
-Parce que vous le savez ? lui répondit la blonde en récupérant sa main, à la fois méfiante et intriguée.
-Je crois qu’il serait mieux que nous poursuivions cette conversation ailleurs… »
Ce jour-là, Serah apprit qu’elle était une Combattante et ce que cela signifiait. Et elle n’en crut pas un mot, surtout quand son interlocutrice s’étonna du fait qu’elle soit une
fille. Quelques jours plus tard, d’étranges personnages faisaient éruption dans sa vie et lorsqu’enfin elle accepta la vérité, elle les suivit, laissant à nouveau sa famille derrière elle. Et ainsi elle découvrit pour la première fois Bellarosa.
Le cycle d’adaptation fut court mais instructif. Serah dût surtout faire un travail sur elle-même pour accepter toutes ces réalités qui se confrontaient à sa vision originelle du monde. Au bout de deux mois passés au milieu de garçons d’une quinzaine d’années, elle acheva ce premier cycle et rencontra celui qui allait être son mentor. Elle grinça un peu des dents en constatant qu’il s’agissait d’un homme –était-elle donc la seule Combattante ?- car elle avait toujours eu plus de mal à leur faire confiance qu’à faire confiance aux femmes. Mais elle l’accepta en s’efforçant de balayer tous ses préjugés.
L’année qui suivit fut extrêmement intense. Elle rattrapa en une seule année ce que tous les autres faisaient normalement en trois. Ce fut éprouvant, particulièrement difficile, mais heureusement, son service dans l’armée lui avait permis d’acquérir des compétences qui lui furent très utiles. Si le maniement de l’épée et des dagues lui posa quelques problèmes, elle s’avéra douée pour le combat à mains nues –discipline où elle s’était toujours illustrée dans son unité en mettant même à terre les plus forts d’entre eux- et le tir à l’arc. Ce dernier lui rappelait toutes ces heures passées dans le sable à guetter à travers une lunette les mouvements d’un éventuel assaillant. Les cours théoriques l’ennuyaient beaucoup plus en comparaison, mais tout ce qui touchait de près ou de loin à la magie éveillait chez elle un intérêt vivace. Curiosité et fascination. A l’issu de cette dure année, elle passa le Dearbhadh, prétendit au Don et refusa la Promesse.
Jamais elle n'aurait pu imaginer les vives réactions de sa décision souleva. Son mentor, auquel elle avait enfin accordé sa confiance, lui signifia clairement qu’il n’approuvait pas son choix. Et c’était certainement cela qui lui fit le plus de mal. Personne ne la comprenait, mais lui… Avait-elle eu tort de lui faire confiance ? Ne pouvait-il pas comprendre qu’elle avait peur de ces chaînes invisibles qui la lieraient à tout jamais à une seule et unique personne, pour qui elle devrait donner sa vie ? Ne pouvait-il pas comprendre qu’elle préférait participer activement à protéger un grand nombre de sor’cières plutôt qu’une seule ? C’était son devoir. Son devoir en tant que Combattante.
Cette sensation d’être
anormale que faisait naître en elle cette vive polémique, elle la connaissait. Elle l’avait déjà ressentie. Et cela n’éveillait aucun bon souvenir en elle. Pire, elle se fermait, se condamnait au le silence.
Ce fut dans ces conditions qu’elle attaqua le troisième cycle, ayant choisi l’Enseignement. Les quelques moments de répit que lui accordaient son emploi du temps étaient monopolisés par son mentor, qui complétait ses connaissances concernant ce deuxième cycle qu’elle n’avait vu que trop vite. Et ce fut lui qui décida de briser la glace, lui demandant tout simplement de lui expliquer son choix. Pour la première fois, elle s’ouvrit vraiment à quelqu’un, un peu. Elle ne lui raconta pas qu’elle avait vécu dans une secte, ni même que quatre soldats étaient morts sous ses yeux durant un entrainement. Elle ne lui dit pas pourquoi elle avait tant de mal à faire confiance aux hommes, ni même à quel point le monde moldu –et surtout ses parents adoptifs- lui manquaient. Mais elle lui conta ses doutes, ses peurs, cette liberté à laquelle elle s’accrochait tant, ce sens du devoir qui l’étreignait avec tant de force. Ce besoin d’être
acceptée, alors que lui semblait juste l’avoir rejetée, parce qu’elle avait choisi de ne pas être la protectrice d’une seule et même personne. Ces révélations non seulement ressoudèrent leur lien fragilisé, mais aussi le renforcèrent. Et les cinq années qui suivirent la menèrent à exercer son présent métier : professeur de combat à mains nues.
Icônes by SWAN, Moriarty & Javelot77.
Mais Serah, en quelques anecdotes, c’est aussi…
• Elle se fait tout le temps appeler Lizzy, même si ce n’est que son deuxième prénom devant la loi. Pourtant, pour elle, cela fait longtemps qu’Elizabeth n’est plus qu’un souvenir…
• Son mentor est certainement la personne qui la connait le mieux, avec ses parents. Et il est aussi le seul homme auquel elle accorde sa confiance, si l’on exclut son père adoptif. Leur relation paraitrait ambiguë à n’importe qui, car ils sont vraiment très proches -fut une époque compliquée où il était seul à faire face aux cauchemars de Serah- mais tous deux savent très bien jusqu’où va leur relation. Elle dit souvent sur le ton de la plaisanterie que si elle avait aimé les hommes, elle serait avec lui. Il est un peu son protecteur, et son modèle en tant que Combattant aussi.
• D’autres tatouages que celui commun à tous les Combattants encrent sa peau. Ce qu’ils représentent ou signifient, cela restera un mystère pour la plupart. De même que leur localisation précise…
• Elle n’accepte pas vraiment d’être aussi moyenne au maniement de l’épée et autres lames du même genre, donc elle continue de s’entrainer… en espérant progresser un jour. Pas gagné, mais elle s’acharne.
• Elle aime les endroits en altitude où elle peut se percher. Sûrement la petite fille rebelle qui sommeille encore en elle.
• Elle a toujours cette effigie de bois qui représente un aigle. D’ailleurs, son familier est un petit faucon crécerelle. Quel autre animal pour mieux représenter sa soif de liberté ?
• Elle a un chat de gouttière. Autant dire que cela ne fait forcément bon ménage avec son familier…
• Les réflexes de soldat, elle les a conservés. A vos risques et périls donc…
• La magie la fascine. Un petit enchantement et là voilà aux anges. Les sor’cières ne mesurent pas la chance qu’elles ont d’être capables de se consacrer à un tel Art.
• Sacrée résistance à la douleur et la fatigue, strictement aucune aux chatouilles. Allez savoir pourquoi…
• Assez maladroite avec les choses qui se cassent facilement. Dommage pour la vaisselle…
• Elle nourrit une passion pour les voitures. L'adrénaline et le plaisir que lui procure le fait d'être derrière le volant d'un engin aussi puissant que sa vieille Mustang noire... Elle a d'ailleurs fait venir cette dernière des États-Unis et s'offre un petit tour de temps en temps, en attendant qu'elle trouve un vrai circuit sur lequel elle pourra s'éclater sans mettre d'autres personnes en danger. Les limitations sont frustrantes sur route mais au final, ça la détend, lui permet de réfléchir. L'intérieur de sa voiture, c'est un peu son havre de paix personnel.
• Jogging tous les matins, vieille habitude de l'armée.
• Elle n'aime pas trop les bonbons mais le chocolat, c'est une toute autre histoire. Son pêcher-mignon ? Travailler avec une tablette de bon chocolat noir à portée de main.
• Elle s'habille de manière décontractée et de façon confortable, de manière à pouvoir toujours parer à toutes éventualités si on l'attaque. Son style porte encore la trace de cette très longue période où elle a été un garçon manqué.
• Elle a gardé contact avec ses camarades de l'armée, qu'elle essaye de voir dés qu'ils ont une permission. Elle porte d'ailleurs toujours ses plaques militaires, ainsi que celles de leurs deux compagnons d'armes tombés au combat. Elle ne s'en sépare quasiment jamais.
• Elle dort très mal et cauchemarde souvent. Les mêmes souvenirs la hantent depuis des années.
• Personne ne sait que son tatouage est apparu un peu après son quinzième anniversaire. Pas même son mentor. Elle n'a jamais divulgué cette information qu'elle juge futile et à laquelle elle ne porte aucune attention....
Icones by gentle heart, Valingaï & Javelot77.